20 mai. 2025Yanis Miltgen Itinéraire d’un enfant prodige

Photo : © Jean von Agris
Repousser les frontières de la couture. Transformer la mode en art sculptural. Bousculer les limites de la création. Reconnu et primé, Yanis Miltgen est un jeune artiste prodige, spécialiste de broderie et designer textile. Du haut de ses 24 ans, le jeune homme a déjà tout d’une grande signature.
Entretien à bâtons rompus avec celui qui n’a pas fini de faire parler de lui.
Chevelure structurée, pupilles noisette, regard malicieux, Yanis Miltgen fourmille d’idées et de talent. Enfant unique d’un cocon familial ouvert sur la culture, il est initié très tôt au monde des arts. « Depuis tout petit, ma maman m’emmenait courir les musées. » Voyageant en famille aux quatre coins du monde, Yanis se nourrit des différences culturelles, avec un attachement particulier pour les pays scandinaves. Son baccalauréat scientifique en poche, section bilingue allemand, il quitte le nid familial. Direction Paris, capitale de la mode. Pourquoi la couture ? « J’ai toujours préféré les vêtements, les matières et les étoffes aux mathématiques et à la physique. D’ailleurs, ma grand-mère était couturière. » Diplômé de l’école de mode Atelier Chardon Savard, ce luxembourgeois, aux origines italiennes et françaises, a tout de l’élève atypique. S’il suit avec assiduité les enseignements du tronc commun pendant deux ans, c’est au cours de son année de spécialisation maille et textile qu’il obtient par exemption spéciale de poursuivre son cursus tout en débutant ses recherches pour préparer son Master. Un troisième cycle atypique en totale autonomie où chaque élève peut créer sans aucune contrainte. Une sorte de laboratoire créatif. Son idée ? Créer une collection couture autour des métiers d’art. Du jamais vu !

Pourquoi avoir préféré la broderie et le design textile à la couture ?
Au milieu de mes études, j’ai découvert le monde de la broderie auprès d’une femme extraordinaire, Marylène Eyral. Une brodeuse d’art très reconnue qui s’est formée dans le monde entier. Elle connait aussi bien la passementerie chinoise que la broderie d’or ou aux rubans de soie, que celle de Madagascar. Ce stage de trois mois a été une révélation. Manier l’aiguille et apprendre à broder au crochet de Lunéville avec toute sorte de matières – coton, soie, perles, paillettes, cristaux, raphia, cuir – mais aussi coquillages, graines et également des matières recyclables. Tout est possible ! La broderie d’art n’a pas de limites. Cela correspondait totalement à ce que je recherchais : avancer sans contraintes.
En quoi consiste votre démarche créative ?
Broder en travaillant des matières non conventionnelles comme le silicone ou le métal, et même des circuits électriques ! Les déstructurer et les mixer. Leur donner une nouvelle expression. J’essaye de repousser les limites de l’art de la broderie à l’extrême. Je démarre par une recherche textile. Je travaille la matière sans dessin préalable, en petits échantillons. Puis, je vais expérimenter les broderies, les tester et les modifier aussi longtemps qu’il le faut. Peu importe les 300 ou 1000 heures passées. Ensuite, je détermine le support. Vêtement, objet d’art, suspensions. Mes créations sont uniques, à mi-chemin entre l’art et la mode.
Parlez-nous de votre première collection « Histoire d’une vie ».
Pour cette collection, l’Atelier Chardon Savard nous donne carte blanche. Mon idée est de créer une collection qui rend hommage aux métiers d’art, tout en racontant ma propre histoire. Ce master marque pour moi la fin de mes études. Mon passage de l’enfance à la vie adulte. Chaque silhouette fait ainsi référence à une personne, à une émotion, à un événement marquant de ma vie. Par exemple, l’une d’entre elles – un manteau robe tailleur – évoque ma maman et son attachement à la Polynésie. Il est réalisé à partir d’une mosaïque de morceaux de nacre noire de Tahiti. Chaque fragment est brodé à la main. Passionné par l’amour funeste en littérature, j’ai créé une silhouette Anna Karénine. Dans le roman, il est dit que lorsqu’elle se suicide à cause de son amour, l’horloge de la gare s’arrête. Comment cristalliser la notion du temps dans mon travail ? En réalisant une robe qui intègre des mouvements de montres récupérées. Je les ai reliés les uns aux autres à l’aide de galon militaire, la soutache, en utilisant une technique de broderie sans tissu, utilisée en joaillerie. Au total, j’ai créé dix silhouettes en huit mois. Une collection complète.

Comment vous êtes-vous fait connaître ?
Au cours de mon parcours, j’ai eu la chance de rencontrer des personnalités qui m’ont inspirées. « Tu appartiens au monde de l’art » me souffle un jour mon directeur de Master. J’ai donc contacté de nombreuses galeries pour exposer. De l’Asie au Pacifique en passant par les États-Unis. Partout. Luc Schroeder de la Galerie Mob-Art Studio à Luxembourg a été le premier à me répondre. Je lui dois mes débuts en juillet 2023.
Comment ?
Cette exposition connaît très vite de belles retombées presse. Et tout à coup, le public parle de moi et apprécie mon savoir-faire. À partir de là, tout s’est enchaîné. Défilé à la Fashion Week de Luxembourg. Obtention du prix du public du Concours international de broderie « Hand & Lock ». En 2024, je remporte le prix « Les deux mains du luxe » des Métiers d’arts du Comité Colbert avec ma collection « Histoire d’une vie ». Cela augmente considérablement ma visibilité. Le palace parisien Le Meurice me contacte et je réalise pour leurs salons deux vases brodés sur mesure sur le thème des Jeux Olympiques. Je suis sélectionné pour habiller l’artiste Tali, qui représente le Grand-Duché à l’Eurovision. Une veste en cuir brodée de perles et de clous. Parallèlement, je suis nommé lauréat du Prix de la Jeune Création Métiers d’Art. Il s’agit d’un prix qui récompense les créateurs de moins de 35 ans qui conjuguent innovation, qualité artistique et savoir-faire. Avec ce dernier, je vais exposer à la Biennale des Révélations, au Grand Palais Éphémère à Paris du 21 au 25 mai, comme artiste luxembourgeois. Je travaille actuellement sur la pièce unique présentée (entièrement soutenue financièrement par l’Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte).

De quoi s’agit-il ?
L’œuvre s’appelle L’arbre de la vie. D’une dimension de 4 mètres de haut sur 3,60 mètres de large, cet arbre, incrusté dans une table, sera rempli de fleurs en broderies, maille, plumes autour des quatre saisons. Il est ma carte de visite puisque je fais intervenir tous les métiers d’art et savoir-faire. Mode, sculpture, design d’objet. Ces deux dernières années ont été très soutenues mais toutes ces récompenses me confortent dans ma voie et assoient ma signature.
Avec ce beau parcours, quels sont vos prochains objectifs ?
Vaste question ! Obtenir le prix Hand & Lock. Collaborer avec la maison McQueen. Poursuivre mes expositions chez Mob-Art Luxembourg. Être exposé à la Patinoire de Bruxelles.
Mon rêve ultime ? Uniquement créer sans me poser de questions. Produire une vingtaine d’œuvres qui voyageraient dans le monde entier, sous la forme de deux collections par an. En un mot, appliquer le système de fonctionnement de la mode à l’art. À terme ? Devenir l’un des meilleurs brodeurs du monde.
Vous semblez ne jamais douter…
Je sais ce que je veux et surtout ce que je ne veux pas. Si je commets encore des erreurs d’appréciation – la jeunesse sans doute –, je ne doute plus de mes capacités techniques parce que des personnes bienveillantes me soutiennent. Elles m’ont appris à avoir toujours plus d’ambition. À voir grand. Toujours plus haut. Aérien. Visible. Pour moi, le meilleur doit avoir sa place.
Des conseils pour les jeunes créateurs ?
Se nourrir de tout ce qui nous entoure : couleurs, nature, architecture, sentiments, relations amoureuses. Tout est source d’inspiration. Et surtout, travailler. Profiter de ses études pour apprendre et emmagasiner un maximum de notions, de savoir-faire. Après, il sera trop tard.
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