MIR, WIR, NOUS, US

19 mai. 2025
MIR, WIR, NOUS, US
L’œuvre qui fait parler les symboles

Article en Français
Photo : © Laetitia de Luppé

Installée au coeur du Luxembourg, l’installation monumentale de Florence Hoffmann questionne la coexistence des religions dans notre société. Une œuvre engagée prolongée par une performance chorégraphique lors du finissage du 21 mai à 12h30.

Chaque hiver, une curieuse caisse en bois enveloppe la fontaine sphérique de la place des Bains, entre le boulevard Royal et l’avenue Jean-Pierre Pescatore. Ce dispositif, d’abord conçu pour protéger la fontaine des intempéries, s’est mué depuis 2018 en un support de création artistique, dans le cadre du projet The Box.

Ainsi, en 2023, Karolina Pernar y installait Abyss puis, en 2024, One Root du sculpteur Assy Jans et de la peintre Yvette Rischette y prenait place. L’espace visuel laissé par ce volume brut est proposé par la Ville de Luxembourg à des artistes professionnels.

Cet hiver 2025, c’est la plasticienne Florence Hoffmann qui a été choisie pour investir cette singulière tribune.

Se jouant des codes antiques et modernes du « street art », la plasticienne Florence Hoffmann a posé sur ce socle éphémère l’œuvre Mir, Wir, Nous, Us, colossal graffiti de béton mesurant trois mètres de hauteur, où les symboles des cinq principales religions du monde sont enchaînés en un instable équilibre.

L’œuvre est assortie d’un cartel didactique suggérant des clés de lecture que les passants peuvent consulter à l’envi.

Message de paix lisible, rugueux comme la matière béton qui le compose. Percutant aussi, puisqu’il créa quelques remous dans la sphère culturelle, toutes obédiences confondues.

Une ultime performance aura lieu lors du finissage ce 21 mai et, pour l’occasion, Florence Hoffmann a convié la chorégraphe Claudia Urhausen à s’exprimer autour de l’œuvre. 

Sorte de danse cathartique illustrant les réactions parfois vives que suscita l’érection d’une telle œuvre au cœur de la cité de Luxembourg.

Nous avons rencontré les artistes en plein filage de ce projet urbain et multiple.

Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Claudia Urhausen: C’est notre deuxième collaboration avec Florence. La première, c’était à la galerie Schlassgoart (Galerie GO ART). J’ai aimé sa dextérité à s’emparer d’une idée et à épuiser cette matière, aussi bien sur le fond que sur la forme.

À Esch, c’était le Livre ; ici, c’est plus abstrait. Mais avec Florence, j’ai tout de suite eu l’intuition que nos univers avaient beaucoup à se dire. Son travail est plus subversif qu’il n’y paraît au premier abord : il y a une vraie tension intérieure sous un abord harmonieux.

Florence Hoffmann: J’apprécie la manière dont Claudia s’empare de mon travail pour y investir le sien. Sa physicalité est complémentaire du travail plastique que je déploie. Une rencontre ça ne s’explique pas toujours, ça se vit, ça se vibre. 

À travers la danse, votre sculpture change de dimension, elle s’anime, cette transversalité était-elle nécessaire?

F. H. : À bien y réfléchir, la danse et la religion ont toujours été intrinsèquement liées, sorte de connexion profonde entre le corps et l’esprit, une exploration de la sacralité et des actes que cela engage. Il se trouve que Mir, Wir, Nous, Us est une sculpture de rue. Or, la street dance, c’est un mode d’expression né sur le bitume. On se confronte aux éléments urbains, son contact peut heurter, blesser. Dans ce contexte, cette danse née dans la rue s’impose pour incarner un projet sur la pluralité des cultes évoluant dans un même espace, en l'occurrence la place publique lieu de tous les échanges. Le piédestal de la sculpture surplombe l’esplanade, il faut lever les yeux pour l’appréhender. Grâce à la performance que nous préparons avec Claudia, nous serons à hauteur d’hommes.

C. U. : Quand tu m’as contactée, Florence, pour cette performance, j’étais justement en train de penser que ce serait génial de faire quelque chose avec ton travail. J’avais entendu et lu des choses. Certaines critiques m’ont semblé très réductrices, surtout que j’étais passée plusieurs fois devant sans toutefois y déceler le côté moralisateur que certains lui ont prêté. D’abord, je dois dire que Mir, Wir, Nous, Us s’intègre bien dans le paysage de Luxembourg. En tant que chorégraphe, j’y vois tout de suite ses angles d’accroche, l’imbrication des symboles, ses nuances, des interstices dans lesquels je peux me glisser et faire danser cet imbroglio. Il est question ici du « vivre ensemble » et de la nécessité d’une tolérance mutuelle pour ne pas compromettre l’unité précaire.

F. H. : Oui, c’est d’ailleurs un peu fou, tout ce vacarme autour d’un message somme toute universel ! Je ne m’attendais pas à ce qu’on me dise comment j’aurais dû créer, ce que j’aurais dû exprimer, pourquoi je n’étais pas politiquement correcte. C’était intrusif mais instructif. Ça en dit long sur la sensibilité d’un tel sujet ; l’actualité nous le rappelle quotidiennement. Ce finissage, c’est une restitution de tout cela, une réflexion sur l’œuvre, sa représentation, sa réception publique.

Alors, j’ai aussi proposé à l’autrice Carla Lucarelli de contribuer au finissage par un texte original. Ses mots seront en résonance directe avec le geste plastique et l’intention chorégraphique de ce projet transversal. Je lirai ce texte juste avant la performance de Claudia et des danseurs. Ensemble, nous formons un triptyque où la parole, le corps et la matière se soutiennent sans hiérarchie.

Quels procédés utilisez-vous ?

C. U. : Mon travail performatif va raconter tout le processus qui s’est mis en place depuis le premier jour de l’exposition de la sculpture jusqu’à son arrachement imminent.

F. H. : Claudia s’est emparée de tout ce que l’œuvre a produit comme réactions diverses et variées. La bande sonore qu’elle a conçue spécifiquement amalgame ce matériau brut pour devenir le support de sa chorégraphie. Cette complémentarité d’expression me réjouit, et j’ai hâte de partager ce final avec le public. Entre l’hiver où je l’ai plantée sur la place et la fin du printemps, l’œuvre a germé et produit d’autres questionnements. Ce finissage, c’est un peu l’éclosion du projet.

C. U. : Florence, tu as initié le premier mouvement de Mir, Wir, Nous, Us et j’interviens avec toi dans cette seconde énergie où on est passées d’un acte solitaire à un jaillissement collectif et participatif. C’est la force d’une œuvre conçue pour la rue, du street art dans toute son expressivité, là où s’inscrivent les plus beaux espaces de création !

 

Finissage et performance le  21 mai à 12h30, Place des Bains.

Chorégraphie et danse: Claudia Urhausen

Danseurs: Marvin Andrieux et Nordine Jaouid

Poème: Carla Lucarelli

Performance: Florence Hoffmann

Artistes

Karolina Pernar
Assy Jans
Yvette Rischette
Florence Hoffmann
Claudia Urhausen

Institutions

Ville de Luxembourg

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